D’où viennent les injures sexuelles – L’Avenir 13 avril 2011

13 Avr 11

Sylvie Lausberg, vous venez d’écrire «L’édifiante histoire de l’insulte sexuelle». Curieux sujet…Voilà dix ans que je travaille sur la place de la femme dans la société. Je suis historienne de formation. Et je me suis rendu compte que, depuis des siècles, l’injure sexuelle était utilisée pour invalider le discours des femmes qui prenaient une place déplacée. Déjà à l’époque de Louis XIV, on traitait la Montespan de tous les noms. Et madame de Maintenon se faisait couvrir d’insultes sexuelles.

Et ça continue aujourd’hui?Oui, même si les choses s’améliorent. Les insultes prennent des formes différentes.

Les insultes tournent toujours autour des mêmes thèmes?Oui : la frénésie sexuelle, la saleté.

À savoir?Une femme qui prend un peu trop de place ou prend du pouvoir (en politique, à la télé, etc.) devient vite une «putain» ou une «salope». On est souvent autour du thème de la prostitution. En termes de saleté, on dit souvent une «sale pute».

Les injures sont systématiquement à l’encontre des femmes?Non. C’est vrai que les femmes de pouvoir sont régulièrement insultées. Mais les hommes aussi. Ce qu’il y a de frappant, c’est que les femmes sont insultées pour leur soi-disant frénésie sexuelle et les hommes pour leurs manquements.

C’est-à-dire?Une femme sera traitée de «salope» de «chaudasse» ou d’«allumeuse» là où un homme sera traité de «pédé» ou de «couille molle».

Vous parlez aussi de rapport à l’imbécillité dans l’injure…Oui. Au Moyen Âge, le con désignait usuellement le sexe de la femme. Puis ce mot a quasiment disparu parce qu’il était devenu tabou. Ensuite, il est revenu à la surface sous une acception péjorative qui décrit un imbécile. Ça nous ramène au vieux débat : les femmes ont-elles une âme, sont-elles les égales des hommes. Ou sont-elles toutes des «blondes», comme on dit aujourd’hui

> «L’édifiante histoire de l’injure sexuelle», Sylvie Lausberg, Une initiative du Conseil des femmes francophones de Belgique.

Coincés par nos différences sexuelles

Pourquoi éprouve-t-on le besoin de proférer des insultes sexuelles ? Parce que les places sont assignées dans notre société par nos différences sexuelles. Nous sommes conditionnés pour être fille ou garçon. Alors, forcément, quand on sort de notre rôle, ça fait peur. Une femme est censée être dans le dialogue, le questionnement, et l’homme dans l’affirmation. Alors, une femme qui monte à la tribune, ça déstabilise.

Or, nous avons tous en nous une part de l’autre. Les hommes ont une part de féminité, les femmes une part de masculinité. Mais cela n’a pas encore droit de cité. Nous n’avons pas encore réussi à donner toute sa dimension à l’individu. Nous sommes pris dans une identification sexuelle. Et l’injure est utilisée quand on se sent déstabilisé dans son rôle. On se retrouve face à sa propre fragilité. L’injure sexuelle est un aveu de faiblesse.

Un geste d’autodéfense, donc… Oui. Mais en même temps, il y a souvent derrière l’injure sexuelle une vraie volonté de nuire. Quand Nixon traitait Indira Ghandi de « pute », c’était pour lui nuire. Pareil pour Hillary Clinton.

D’autant que, souvent, l’injure ne repose sur rien de concret… Absolument! Souvent, la réalité ne correspond en rien à ce qui est proféré. Le problème, c’est qu’on globalise, on veut remettre l’insulte dans un tout. Par exemple, on dit souvent « toutes des salopes ». C’est totalisant. Et ça, c’est l’origine de la dictature de la pensée. Ça ne repose sur rien. Malheureusement, ça reste. Quand Dominique Voynet s’est fait traiter de tous les noms, elle a mis des années à se décoller de l’image que certains avaient donnée d’elle.

Les insultes ont changé ou ce sont toujours les mêmes mots qui reviennent ? Les mots changent. Aujourd’hui on parle de «bimbo» ou de « bitch ». Mais les références sont toujours les mêmes.

© lavenir.net Avril 2011