Interview dans La Libre : Le scrutin communal au féminin fait son chemin: les partis le désirent-ils réellement?

18 Oct 18

LA LIBRE
BELGIQUE
18.10.18
Le scrutin communal au féminin fait son chemin: les partis le désirent-ils réellement?
Alice Dive
Preuve que les choses bougent dans les constructions mentales : désormais, en 2018, les médias et
journalistes analysent et décortiquent sans la moindre hésitation, quelques jours après le scrutin communal, ce que ce dernier a donné sur le plan du genre.
Comprenez : la gent féminine est-elle suffisamment représentée au niveau des postes de conseillers communaux, d’échevins et de bourgmestres en Wallonie et à Bruxelles ?
« En six ans, la donne a complètement changé en matière de politique genrée,se réjouit Sylvie Lausberg, présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique.
Aujourd’hui, une attention toute particulière est accordée, notamment de la part des médias, au scrutin communal au féminin. La donne genrée n’est
plus considérée comme un sujet à part mais bien comme un sujet fondamental pour l’équilibre démocratique. »
Et la même d’observer: « Auparavant, lorsqu’une femme décrochait un poste de bourgmestre, on se disait : tiens une femme bourgmestre, c’est bien. Aujourd’hui, on se dit plutôt : tiens, il n’y a décidément pas assez de femmes bourgmestres. C’est précisément cela qui a changé. »
Une seule maïeure à Bruxelles
Voici donc les résultats enregistrés pour ce qui concerne le scrutin communal de dimanche dernier.
À Bruxelles, 48,8 % des élus sont désormais des élues, contre 41,5 % en 2012. En Wallonie,
38,6 % des élus sont des femmes, contre 34,9 % il y a six ans. Mais dans la capitale, une seule et unique
femme a décroché dimanche un poste mayoral sur l’ensemble des dix-neuf communes. Il s’agit de la socialiste Catherine Moureaux, à Molenbeek.
C’est moins qu’en 2012 où deux femmes, les libérales Dominique Dufourny à Ixelles et Françoise Schepmans à Molenbeek, étaient parvenues à rafler l’écharpe mayorale. Au sud du pays, 46 femmes sont devenues bourgmestres dimanche sur les 262 entités. Elles étaient
quarante en 2012. « La situation ne s’est donc pas significativement améliorée, déplore Sylvie Lausberg. C’est d’autant plus vrai que, pour ce scrutin communal 2018, des dispositifs contraignants visant à respecter la parité sur les listes électorales étaient effectifs. »
Le système dit de la « tirette » sur les listes instaure en effet la parité et l’alternance entre les candidats et candidates.
« Avec un tel mécanisme en place, on pouvait espérer que les places éligibles mettent davantage de femmes aux postes à responsabilités. Cela n’a visiblement pas été le cas,regrette l’intéressée. Ce qui est d’ailleurs très frappant, dans ce scrutin communal-et je pense qu’il y a là une vraie responsabilité dans le chef des présidences de parti, c’est d’avoir placé majoritairement des hommes comme têtes de liste. Si les partis avaient plutôt fait le choix d’y placer des femmes dans des bastions où ils savaient qu’ils avaient des chances de gagner, on aurait beaucoup plus de femmes bourgmestres aujourd’hui. »Ainsi, sur la totalité des 262 communes wallonnes, il y en a 29 dans lesquelles les électeurs ont davantage plébiscité les femmes que les hommes. Par ailleurs, en termes de voix de préférence,
force est de constater que les femmes récoltent de très bons scores lorsqu’elles figurent en haut de la liste.
« Plus elles sont en bas de la liste, moins elles sont plébiscitées, commente Sylvie Lausberg.
Plus elles sont placées en haut de la liste, plus le signal envoyé par le parti aux électeurs est fort. C’estun incitant pour ceux-ci. C’est ce que l’on appelle le phénomène de la pyramide renversée. »
Les partis le veulent-ils vraiment ?
Selon la présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique,  » l’invisibilité » des femmes en politique serait l’une des raisons qui expliqueraient le phénomène. »Notre système politique reproduit une mise en évidence des hommes par rapport aux femmes. Si les partis décident de mettre
en évidence des femmes sur leur liste, ils ne le font pas par rapport à leurs compétences. Ils le font car elles sont, par exemple, portées par une histoire familiale voyez le cas de Catherine Moureaux ou parce qu’elles représentent déjà quelque chose. Voyez le cas d’Isabelle Simonis à Flémalle. Celle-ci est ministre. Le fait que ces deux femmes aient été d’emblée visibles favorise leur accès à un autre poste décisionnel. Mais que l’on se comprenne bien : il s’agit ici d’une reproduction de stéréotype. »
On l’aura compris donc, bien que la parité entre les hommes et les femmes soit désormais bétonnée sur papier via des mécanismes législatifs, elle ne s’est pas encore intégralement traduite dans les urnes. « La question est de savoir si les partis politiques le souhaitent véritablement. »
Les chiffres démontrent en tout cas que certaines formations politiques sont plus volontaristes que d’autres. À Bruxelles, pas moins de 70 % des élus écologistes sont des femmes. De son côté, le PTB a également placé plusieurs femmes en tête de liste.
« Très clairement, ce sont les partis les plus jeunes qui sont les plus sensibles à la question genrée. C’est très vrai pour Écolo et pour le PTB. C’est plus
difficile pour les partis qui ont un ancrage historique séculaire », termine la présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique