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Je cours, tu cours, elle court…

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Comment réagissent les femmes pressées ?

 

Qui sont ces femmes hyperactives qui concilient activité professionnelle, vie familiale et relations sociales ? Comment font-elles pour tout gérer et quels sont les effets de ces vies cumulées sur leur équilibre, mental et physique ? Peut-on identifier  les facteurs de réussite et les risques liés à cette révolution de la société et des mentalités ?

 

Par Sylvie Lausberg, psychanalyste

Pour la première fois dans l’histoire, il y a plus de femmes au travail que de femmes au foyer. Pour la première fois aussi, de plus en plus de femmes gagnent davantage que leur compagnon.  Cela suppose un investissement et une énergie digne des 3 fois huit ! Pourtant, certaines s’en sortent très bien, et d’autres craquent, plus ou moins vite. Les études le prouvent, les femmes actives à haut niveau de responsabilité sont proportionnellement moins stressées que celles qui travaillent dans une ambiance très contraignante et peu valorisante. La latitude d’agir, le choix de ses horaires, même très longs, et un sentiment de contrôle sur son travail constituent donc des facteurs modérateurs de stress très précieux.  Pourtant, la difficulté commune aux femmes actives reste l’absence de modèle. Face au stress, les hommes ont pu observer leurs pères et leurs pairs. Adopter et adapter leurs stratégies. Ce n’est pas le cas pour les femmes qui ont aujourd’hui la cinquantaine et dont les mères, pour la plupart, étaient femmes au foyer. Depuis la fin du 20ème siècle,  nous vivons un moment culturel charnière. Les recherches actuelles sur les parcours individuels permettent de tirer des enseignements sur la gestion du stress et les processus qui permettent, ou non, d’éviter burn-out, dépressions ou pathologies physiques.

Des signaux d’alerte

 

« Les conséquences du stress s’extériorisent au préalable par de petits maux physiques récurrents. Puis, c’est souvent une petite goutte qui fait déborder le vase », résume Moira Mikolajczak, professeure en psychologie des émotions à l’UCL. « L’équilibre se rompt quand un événement inattendu vient mettre un grain de sable dans une machine qui tournait à plein rendement. Un emploi du temps déjà surchargé peut se trouver complètement déstructuré par un parent ou un enfant malade. Si la femme ne peut faire la part des choses, déléguer et renoncer à tout prendre en charge, le risque psychique majeur est celui du burn-out, syndrome d’épuisement professionnel. Comme un élastique qui lâche, après avoir été trop tendu. La femme ne trouve plus de sens à son travail, n’arrive plus à s’investir. Physiquement, elle peut aussi développer une fibromyalgie, qui se manifeste par des douleurs musculaires chroniques accompagnées d’une fatigue anormale.  Est-ce un hasard si, en Belgique comme ailleurs, cette maladie atteint surtout les femmes : à 90% ! Ces patientes ont en général entre 35 et 45 ans et sont touchées en pleine période professionnelle. Hyperactives, elles sont doublement atteintes puisque cette maladie les limite considérablement dans leurs activités et les empêche de continuer sur leur lancée. Le caractère « subjectif » de la pathologie ajoute encore à la culpabilité de la patiente qui, jusqu’il y a peu, était souvent taxée d’hypocondriaque ».

Apprendre à s’écouter

Comment éviter ces risques physiques et psychiques ? La psychologue des émotions insiste sur les compétences émotionnelles qui font la différence : savoir repérer les maux physiques annonciateurs, écouter ses émotions et identifier un malaise croissant. « Celle qui entend ces signaux et les comprend pourra modifier sa stratégie d’adaptation, opérer des choix et  préserver ce qui lui est essentiel pour continuer sa route ».

Dans une approche psychanalytique, comprendre ces signaux émotionnels ne relève pas seulement du rationnel. Savoir repérer ses émotions ne suffit pas. Sinon, ceux qui n’y arrivent pas seraient condamnés à subir les effets néfastes du stress, ou pire encore, à se considérer comme incapables de comprendre ces signaux, ce qui ne ferait qu’ajouter au sentiment d’inaptitude. Le fait que cela leur «échappe » dit quelque chose d’une histoire personnelle, de la façon dont la personne s’est construite psychiquement et inscrite socialement. Répondre aux demandes, se conformer aux exigences n’est pas seulement lié à ce que les autres attendent de nous et que nous pourrions modifier simplement parce que nous en prenons conscience. Les injonctions sont bien souvent intériorisées. C’est la fonction de ce petit gendarme qu’on appelle le surmoi. Son rôle positif est de nous pousser à agir, de nous motiver à « bien faire ». Mais lorsqu’il est très développé, il faut apprendre à négocier avec lui.  C’est un travail à faire tout au long de l’existence et qui peut demander un petit coup de pouce extérieur…

L’importance de l’espace social

« En outre, certaines femmes, conscientes des pressions sociales, choisissent d’y répondre parce que changer leur demanderait plus d’efforts que de continuer à répondre aux attentes de leur entourage », précise Moira Mikolajczak. Sur ce point, les approches psychologique et analytique se rejoignent, mettant aussi en évidence le rôle tampon primordial des relations sociales qui offrent un espace d’échange et de valorisation du sujet, loin des critères de performance, au travail ou à la maison. Quant cet espace est peu présent ou inexistant, le risque d’utiliser de mauvaises béquilles pour continuer à avancer s’accroît. Le phénomène croissant de l’alcoolisme féminin en témoigne. C’est une des réponses que la société offre, partout et tout le temps, aux personnes stressées et donc vulnérables, mais qui provoque à moyen terme l’effet inverse de celui recherché : baisse de performance, irritabilité croissante et solitude. La dépendance ajoute à la vulnérabilité et c’est le cercle vicieux.

Madame frotte-frotte ou fashion victim ?

Les femmes développent elles-mêmes des réponses au stress qui peuvent être aussi bénéfiques que délétères. Certains comportements naturels sont symptomatiques d’un besoin de rééquilibrer quelque chose. En analyse, bon nombre de femmes évoquent leur besoin de nettoyer la maison, de « mettre de l’ordre » ou celui, parfois aussi compulsif, de faire du shopping « pour se vider la tête ». Pour certaines, repasser ou nettoyer peut s’avérer constructif  en permettant de trouver un équilibre entre cette activité physique et un travail intellectuel prenant.  Mais ce n’est pas la majorité ! Faire de l’ordre dans la maison peut aussi être une manière utile de conforter l’image idéale de la bonne épouse ménagère. Par un déplacement assez direct, on remet de la structure à l’extérieur parce qu’il n’y en a plus assez à l’intérieur de soi.  Le tout est une question de mesure car quand la confusion psychique est trop importante, le « nettoyage » compulsif peut se transformer en TOC et rendre la vie impossible.

Se déployer en tant que sujet

Autre stratégie de compensation au stress, bien s’habiller, se faire plaisir en achetant des vêtements- ou des chaussures ! – contribue au sentiment d’approcher du moi idéal. Dans le cas de femmes hyperactives, il est parfois difficile de s’arrêter, parce que cela laisse du temps pour évaluer sa vie, la cohérence entre ce qu’on a, ce que l’on fait, et ce que l’on voudrait.  L’écart entre les deux peut être insupportable. Acheter, remplir ses armoires comble alors temporairement l’estime de soi.  Mais le phénomène est complexe. La pression de la société de consommation, la fonction de l’argent se doublent d’un phénomène inconscient qui met en jeu l’image de soi et les stéréotypes d’une société patriarcale qui nous traversent malgré nous.

Entre Madame frotte-frotte et fashion victim, le risque est de se laisser coincer dans l’étau qui nous limite à être une « bonne mère » en même temps qu’une femme désirable.

Le tout est de ménager dans son économie psychique une construction toute personnelle qui laisse de l’espace pour se déployer en tant que sujet. Car le paradoxe de la société actuelle est d’offrir de multiples échappatoires, mais peu de temps pour s’arrêter, pour faire le point et laisser émerger ses désirs profonds.

Nous sommes à un moment de l’histoire des femmes où le facteur temps est essentiel.  Naturellement, les filles qui regardent aujourd’hui leur mère – en les critiquant et en les admirant – trouveront à partir de ces modèles de nouvelles stratégies pour se projeter dans une vie de femme équilibrée, hyperactive ou non.

 

Quelques pistes…

Apprendre à se regarder vivre pour évaluer sans faux semblant ses frustrations et ses besoins

Etre attentive aux petits maux récurrents et en parler à des professionnels avant qu’ils ne s’aggravent

Déléguer sans culpabilité, au travail comme à la maison.  Faire confiance aux professionnels de l’enfance comme aux collègues pour nous seconder.

Ne pas hésiter à consulter si le petit gendarme intérieur ne laisse pas de répit ou si le sentiment d’inaptitude s’installe

Décoder les comportements de consommation qui apaisent à court terme mais causent d’autres problèmes

Etre indulgente avec soi-même et reconnaître ses limites

Si vous pensez souffrir de fibromyalgie, contactez votre médecin. Certains renseignements sont disponibles sur www.focusfibromyalgie.be