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Ma mère n’est pas ma mère, et moi je suis qui?

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En dehors de l’adoption, les techniques de Procréation Médicalement Assistée (PMA) permettent aujourd’hui de devenir parent, malgré les impasses biologiques. Quelles peuvent être les conséquences psychiques de ce nouveau mode de filiation pour l’enfant, ainsi que pour toutes les personnes impliquées dans ce processus qu’on appelle GPA, acronyme de « Gestation Pour Autrui » ?

La filiation, structure de la parenté

Dans ce domaine comme dans tant d’autres, les êtres humains ont de tout temps pallié leurs manques ou manquements avec les moyens du bord pour répondre aux injonctions sociales. Il n’était pas rare par exemple que l’enfant d’une jeune fille mère soit déclaré à sa naissance comme étant né de sa grand-mère ou de sa tante. Aux yeux de tous, la mère biologique est alors sœur ou tante de son enfant. Pour tous, sauf peut-être pour ce dernier, travaillé par ce doute qui le traversera malgré les précautions prises pour lui cacher cette vérité. Ainsi naissent les tabous familiaux que l’enfant portera, et dé-couvrira, puisque ce sera à lui de mettre à jour ce qui se cache derrière la couverture sociale. En cas de GPA, c’est bien souvent une parente, une sœur, de la future maman qui est choisie par le couple pour mener la grossesse à terme; selon la loi belge, il est impératif qu’elle soit déjà mère.

Le bébé, lui, peut parfaitement être génétiquement l’enfant de ses parents si l’embryon impanté est issu d’ovocytes et gamètes du couple parental. En revanche, quand une autre personne – donneur anonyme – intervient pour la fécondation artificielle, la mosaïque se complexifie alors davantage car si c’est une femme qui a donné ses ovocytes, l’enfant aura alors une mère biologique, une mère porteuse et une mère sociale, cette dernière étant in fine sa maman. Dans tous les cas, à la naissance, celle-ci devra reconnaître l’enfant. Ce n’est pas le cas du père qui, dès le début, peut être reconnu comme légitime. Un état de fait souvent très difficile à vivre pour la future maman. On le voit, la GPA met donc en jeu non seulement le dépassement de l’ordre naturel mais aussi celui de la filiation. La place du père en est modifiée ; celle de la maman aussi. Celle-ci va fréquemment seconder la mère porteuse, l’accompagner aux échogaphies, s’occuper d’elle comme le ferait un… futur papa. Différence des sexes et ambivalences sont donc au rendez-vous ! Il en va de même pour les relations triangulaires entre le couple parental et la mère porteuse. La mère dite sociale court toujours le risque que la mère porteuse décide de rompre le contrat et de garder l’enfant. Pour cette dernière, se séparer de l’enfant dès la naissance est également un cap à franchir, et personne ne peut dire à l’avance ce que ces différents moments convoquent inconsciemment. Ces ambivalences, doutes et angoisses ne peuvent être passés sous silence. Il s’agit au contraire de les rencontrer, de les exprimer afin que tout ce processus puisse être intégré, métabolisé. Et l’enfant dans tout ça ?

La parole, un acte signifiant

Quand on sait l’importance des relations avec le fœtus in utero, quelles sont, par exemple, dès la fin de l’accouchement, les conséquences sur le nourisson de la séparation radicale avec la femme qui l’a porté? L’enfant sera-t-il marqué à jamais par ce manque ? Personne ne peut le dire et toutes les expériences sont différentes. D’une part, les futurs parents qui ont recours à a GPA recourent fréquemment à l’haptonomie pour nouer des liens avec le fœtus. Et d’autre part, il n’est pas rare que des mères biologiques ne peuvent ou ne veulent pas investir ce bébé dans leur ventre avant sa naissance. Leur enfant devra se débrouiller avec cela. Exactement comme celui né d’une mère porteuse, même si ce dernier aura sans doute plus de chances d’entendre des paroles rassurantes sur cette entrée en matière singulière. Pour un enfant, l’inscription reste celle du désir de son existence. La bâtardise, l’abandon de l’un ou la non-reconnaissance par l’autre, il « fera avec ». Et cela, la société l’accepte comme une donnée irréfragable. Ce qui pose question cette fois, c’est la responsabilité éthique de la société a priori. Doit-elle satisfaire le désir d’enfant quand la nature s’y refuse au risque de projeter l’enfant dans un parcours perturbant ?

Sur le plan social, en tout cas, les études montrent que l’entourage familial reconnaît ces enfants nés de « mère porteuse » dès avant leur naissance. Ils sont portés par la famille toute entière, et reconnus. Sur le plan légal, le législateur a ouvert ce droit à l’existence. Il devrait idéalement être assorti d’un accompagnement des futurs parents et de la mère porteuse tout au long de ce processus complexe et contractuel. L’enfant est-il dès lors conditionné par un contrat ? Oui, cela n’a rien de choquant. C’est au contraire toujours le cas. Tout enfant est inscrit dans un contrat, qu’il s’agisse de mariage ou de concubinage. La structure familiale est aussi une structure contractuelle, avec des obligations et des droits. La différence est que cette nouvelle forme de parentalité met en jeu un rapport à l’intime que la loi ne peut recouvrir dans toutes ses dimensions. La difficulté réside plus dans ce qui sera dit – ou non, que dans ce qui est fait. Là est tout le paradoxe ! Pour répondre aux codes sociaux, pour se sentir parents à part entière, comment les parents d’un enfant qui n’est « pas tout à fait le leur », pourront-ils assumer face à lui cet état de fait ? C’est pourquoi, en marge du droit, il semble indispensable de prévoir pour tous les intervenants des espaces de réflexion et d’échange. En assurant d’emblée une légitimité aux futurs parents, il leur sera d’autant plus aisé de dépasser les sentiments contradictoires qui, de l’échec à la réalisation, ont balisé leur chemin vers la parentalité. Ce qu’ils pourront ensuite partager en paroles avec leur enfant.

Du semblable au différent

L’acte sexuel n’est plus la seule voie vers le reproduction. Même si re-produire, c’est produire du même, du semblable. Mais s’agit-il seulement de faire du semblable, ou d’accepter de créer du différent ? Est-il possible pour un enfant né d’un acte médical, de devenir un sujet à part entière ? Est-ce l’ordre social qui l’inscrit ou la parole de ceux qui l’ont désiré, fut-ce en transgressant les lois de la nature ? Se référer à l’ordre naturel comme ordre social, n’est pas la garantie d’un monde meilleur… Il suffit de rappeler le rôle assigné aux mères – mettre son corps à disposition pour engendrer un autre semblable – et celui dévolu aux pères – incarnation de l’autorité et gardien des cordons de la bourse… La structure patriarcale inégalitaire par essence n’était d’ailleurs pas centrée sur l’intérêt de l’enfant. La GPA renvoie également au risque d’une instrumentalisation et marchandisation du corps des femmes, dans une société où tout s’achète et tout se vend. Sur quels principes se baser dans un monde où la structure patriarcale est bousculée par le progrès scientifique ? Sur quels critères base-t-on l’intérêt de l’enfant ? Une conception naturelle, la continuité génétique, la ressemblance physique ?

Comment offrir aux enfants un espace dégagé à même de leur offrir un déploiement subjectif ?

Le projet d’enfant aujourd’hui peut être différent.

Quant à être de bons parents, s’agit-il de la capacité à élever un enfant, même s’il n’a pas été créé à notre image ? Nous voilà bien au cœur du sujet. Car si selon la tradition chrétienne, Dieu a créé l’homme à son image, les techniques de procréation médicalement assistée convoquent d’autres critères. Font-ils appel à l’ordre moral, à la moralité des parents putatifs, à la nécessité d’une perpétuation génétique, ou alors sommes-nous désormais confrontés à une relecture de l’ordre social, remettant en cause la sacro-sainte famille ?
Le projet parental, au-delà du principe de réalité?

Si l’on y regarde bien, de nombreux enfants sont aujourd’hui maltraités, livrés à eux-mêmes par des parents en grande difficulté. Si l’enfant né d’un processus médical lui offre un espace de déploiement personnel, il pourra s’en saisir.