D’abord flamande, la Révolution belge?

23 Sep 06

En réaction à un articlepde Guido Fonteyn affirmant que la Révolution belge était d’abord flamande, ma réponse dans La Libre Belgique, reprise dans Eurotopics (Courrier International en ligne )

 

Historienne. Auteur d’«Histoire de Belgique à lire et à colorier» (Editions de l’Arbre) et «Histoires des rues de Bruxelles» (à paraître aux Editions de l’Arbre).

La campagne pour une scission de la Belgique, réclamée par le nord du pays, s’accompagne ces derniers mois d’une diffusion continue de «vérités» historiques surprenantes et plus d’une fois démenties. La dernière en date est signée Guido Fonteyn dans les colonnes du «Morgen» du 18 septembre:«Les Wallons continuent à fêter les journées de septembre alors que la révolution belge a été l’œuvre des Bruxellois flamands». Interprétation partisane et parfaitement anachronique!

La première salve de cette nouvelle rhétorique qui réinterprète l’histoire de Belgique est venue du club privé «In de Warande», formé par des acteurs politiques et économiques flamands, et installé justement le long du Parc de Bruxelles (1), au lieu même où firent rage les combats les plus sanglants de notre révolution nationale. L’affirmation de M. Fonteyn aux allures de «scoop» est à placer dans le prolongement de la quantification par l’intelligentsia flamande des transferts nord-sud, tendant à démontrer que la Wallonie vit depuis quarante ans aux crochets de la Flandre. La contestation de ces chiffres comme de la méthode utilisée est venue cet été d’universitaires namurois…. Malheureusement un peu tard pour faire échec au matraquage simpliste des esprits.

Quant à la flamandisation de la révolution belge, prenons la démonstration de Monsieur Fonteyn au mot et tentons de lui insuffler un peu de méthode historique.

Notons en préambule que, si comme les études le démontrent, les victimes des barricades étaient bien en majorité des Bruxellois issus des classes populaires et donc parlant un patois flamand (et non un flamand commun à la Flandre), la révolution belge et les événements qui mèneront à notre indépendance ne se limitent pas aux combats de Bruxelles, loin s’en faut. Il est donc faux de dire que la révolution belge est l’oeuvre des Bruxellois flamands. Rappelons encore que si les Bruxellois de septembre 1830 étaient bien les plus nombreux à se battre – et pour cause, puisqu’ils vivaient à l’endroit stratégique où le pouvoir hollandais concentrait son attaque -, ils étaient soutenus par des milliers de volontaires venus à pied de Flandre et de Wallonie, pour faire reculer les soldats de Guillaume d’Orange.

Monsieur Fonteyn pose cependant une bonne question, celle des dates emblématiques choisies par les communautés du pays pour leurs fêtes respectives. Mais il y répond par un vice de méthode, en confondant les faits historiques et leur interprétation a posteriori.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la révolution belge est ainsi utilisée par un groupe ou un autre. On en a fait longtemps une révolution wallonne, puis une révolution prolétaire; en faire une révolution flamande relève du même type d’anachronisme.

Pourquoi M. Fonteyn fait-il du neuf avec du vieux en qualifiant de récentes les conclusions de J.W. Rooney – publiées il y a un quart de siècle (2) – plutôt que de se référer au travail monumental et bien plus récent de l’éminent historien Jean Stengers (3), qui synthétisait dans son dernier ouvrage toute une vie de recherches sur le sentiment national en Belgique? Citons-le: «A Bruxelles, on relève parmi les tués et les blessés quelque 76 pc de Bruxellois, à côté de 12 pc de combattants venus de villes et communes flamandes, et de 12 pc venus de Wallonie.» (4). Les statistiques, bien qu’impossibles à mener jusqu’au bout, laissent penser qu’effectivement les Bruxellois des classes populaires qui ont été les plus nombreux sur les barricades, étaient probablement en nette majorité des Flamands «si l’on s’en tient à la définition linguistique». Et c’est sans doute pour cette dernière précision que le travail de Jean Stengers est laissé de côté par le chroniqueur du «Morgen», car le professeur de l’ULB démontre, preuves à l’appui, que c’est un produit de l’imagination que de comprendre la révolution belge en fonction de tensions communautaires inexistantes à l’époque. «La caractéristique de 1830, tout au contraire, est que le pays entier a participé au grand mouvement vers l’indépendance… Le sentiment national belge se manifeste partout, mais il est encore impossible de saisir où que ce soit le moindre indice d’une conscience collective flamande ou de son équivalent wallon.». Le professeur de l’ULB le disait encore plus clairement dans un article publié dès 1982: «L’heure des Flamands, puis des Wallons, qui changera le visage de la Belgique, ne sonnera que beaucoup plus tard. Ce sera l’heure d’une nouvelle forme de nationalisme, que 1830 ne connaissait pas encore: le nationalisme linguistique.» (5)

En conclusion, injecter dans la révolution belge les enjeux linguistiques d’aujourd’hui relève d’un amalgame, dont je ne pense pas qu’il soit innocent.

Connu comme spécialiste flamand de la Wallonie, Guido Fonteyn donnait au printemps dernier à l’ULB une conférence autour de son livre «Adieu Magritte. La Wallonie d’hier et d’aujourd’hui». L’histoire de la Wallonie y était passée en revue par le biais de l’histoire économique, pour aboutir ensuite à une thèse longuement développée: l’oppression économique exercée par les Wallons sur les Flamands eut pour conséquence une oppression culturelle, qui serait toujours d’actualité. Guido Fonteyn y forçait le trait jusqu’à accuser les patrons de 1850 d’exploiter plus durement les Flamands dans les mines alors que les ouvriers wallons auraient bénéficié selon lui, d’avantages sociaux et de loisirs. Méconnaissance historique et mémoire sélective! Les luttes sociales, bien postérieures à 1850 et communes aux ouvriers flamands et wallons, sont elles aussi revisitées par M. Fonteyn à l’aune des tensions communautaires actuelles, sans que l’orateur évoque même brièvement l’attitude de la bourgeoisie flamande – parlant français et qui n’a pas levé le petit doigt pour défendre les ouvriers de Flandre contre les «ogres» du patronat wallon…

Sur le coup, j’ai mis ces erreurs sur le compte de l’approximation; aujourd’hui, je ne peux que constater que Monsieur Fonteyn récidive en livrant une interprétation étriquée et fallacieuse de notre histoire. En l’occurrence, sa version de notre révolution nationale alimente sur de fausses bases un esprit de revanche. Comment ne pas regretter que soit ainsi publiée une «histoire incorrecte des Belges» à des fins qui, si elles ne sont pas avouées par l’auteur de l’article, n’en restent pas moins partisanes. Que Monsieur Fonteyn développe ses idées, c’est son droit. Mais l’histoire n’est pas un grand bazar duquel on peut sortir l’un ou l’autre élément pour le faire coller aux aspirations du temps. Il est urgent de dénoncer cette instrumentalisation d’une histoire de Belgique que certains se réapproprient en la déformant pour se parer de lauriers au parfum de zizanie.

(1) Dont il porte le nom en néerlandais, warande, synonyme de jachtgebied, constituant à l’époque des Ducs de Brabant et de Bourgogne, un domaine de chasse qui fit la renommée du palais du Coudenberg, haut-lieu du pouvoir depuis le bas Moyen Age.

(2) Profil du combattant belge de 1830, in Revue belge d’histoire contemporaine, t.12, 1981

(3) Jean Stengers «Histoire du sentiment national» 2 vol., Editions Racine, 2000-2002.

(4) Les communes flamandes comprennent les communes entourant la ville…. On notera que 60 pc environ des combattants bruxellois habitaient les quartiers «populaires» de la ville, c’est-à-dire les 1re, 2e, 3e et 6e sections, où la population de langue flamande s’élevait en 1842, respectivement pour chaque section à 35 pc, 68 pc, 87 pc et 67 pc in Stengers Op. Cit, t. 1, p. 324; voir aussi F. Degives «L’importance du facteur de classe dans la Révolution belge: les volontaires bruxellois de septembre 1830 », ULB, 1981

(5) J. Stengers «Histoire et nationalisme» in «Histoire et historiens depuis 1830 en Belgique «, Revue de l’Université de Bruxelles, 1982

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